Notre analyse suite à la démission du Premier ministre S. Lecornu

Mardi 07 octobre 2025

Marchés Financiers

Investment Talks, 7 oct 2025 :   une analyse de Vincent Mortier, Directeur des investissements du groupe Amundi et de Monica Defend, Directrice de l'Amundi Investment Institute

La démission du Premier ministre S. Lecornu, face à l'opposition tant de la gauche que de la droite, a ouvert une nouvelle phase d'incertitude politique. Le président Macron doit désormais choisir entre la nomination d’un nouveau Premier ministre ou la dissolution de l'Assemblée nationale afin de convoquer des élections anticipées. Dans tous les cas, la France disposera d'un budget pour 2026 : sa Constitution prévoit en effet des mécanismes visant à éviter un « shutdown » à l'américaine.

Malgré la fragilité politique et le léger élargissement des spreads des obligations d'État, la demande pour la dette française reste solide. La France bénéficie d'un marché obligataire important et liquide, d'un coût moyen de la dette historiquement bas, de l’allongement des maturités de la dette et d'une forte capacité de recouvrement fiscal. La Banque centrale européenne (BCE) détient une part importante de la dette française, et les récentes dégradations de sa notation ont eu un impact limité sur l'appétence des investisseurs, reflétant leur confiance dans la stabilité financière de la France.

L'incertitude politique a pesé sur le marché actions français, en particulier sur les titres nationaux, tandis que l'impact sur les indices actions européens a été limité. Le marché français intègre déjà le risque politique et, avec environ 80 % de sa capitalisation tournée vers l'export, il devrait rester relativement résilient malgré l'incertitude persistante. Toutefois, une instabilité politique prolongée pourrait peser sur la confiance des ménages et la demande intérieure, comme en témoigne la hausse des taux d'épargne, ce qui aurait un impact supplémentaire sur les segments du marché les plus tournés vers le marché intérieur.

 

Retour de l'incertitude politique, à la suite de la démission du Premier ministre Lecornu

La démission du Premier ministre Lecornu fait suite à l'opposition des partis de gauche et de droite concernant la composition de son gouvernement, annoncée dimanche soir. Comme lors de la chute du gouvernement Bayrou, le président Macron a désormais deux options. Il peut

  1. soit nommer un nouveau Premier ministre,
  2. soit dissoudre l'Assemblée nationale et convoquer des élections anticipées.

   

Certains partis (La France Insoumise (LFI) et le Rassemblement National (RN)) réclament la démission du président. Cependant, cette dernière option est très improbable, car le président Macron a réaffirmé à plusieurs reprises son intention de respecter le calendrier institutionnel (les élections présidentielles sont prévues en avril/mai 2027, à la fin de son deuxième mandat). Les récents sondages suggèrent qu'en cas d'élections législatives anticipées, l'extrême droite pourrait
conserver son avance avec 32 % des voix, tandis que le bloc de centre-droit perdrait des sièges. Dans un premier temps, le président sera donc probablement tenté de nommer un autre Premier ministre (gouvernement d’experts ou Premier ministre issu du parti républicain/socialiste ou même du RN). Cependant, compte tenu des échecs successifs de ses prédécesseurs, les chances de succès d'un nouveau Premier ministre sont assez minces. Dans ce contexte, la probabilité d'élections législatives anticipées semble élevée ; la question est de savoir quand elles auront lieu. Les élections doivent être organisées au moins 20 jours et au plus tard 40 jours après la dissolution (article 12 de la Constitution). En 2024, par exemple, la dissolution de l'Assemblée nationale a été annoncée le 9 juin, les élections ayant eu lieu trois semaines plus tard, les 30 juin et 7 juillet.

Dans tous les cas, il n'y aura pas assez de temps pour adopter le budget 2026 avant la fin de l'année, comme l'exige la Constitution. Cependant, les événements de l'année dernière (après la chute du gouvernement Barnier) ont montré que la Constitution prévoit des procédures pour éviter un blocage, comme c'est le cas aux États-Unis (voir encadré). À l'inverse, il existe un risque de prolongation d’une période d'inertie politique, alors même qu’une prise de décisions claires est nécessaire.

Le précédent de 2025 : comment une crise institutionnelle a été évitée l'année dernière

Le 10 décembre, le Conseil d'État a rendu un avis sur l'interprétation de l'article 45 de la « loi organique relative aux lois de finances » (LOLF). Cet article permet au gouvernement de proposer un projet de loi spécial afin d'assurer la continuité de la vie nationale et le fonctionnement régulier des services publics en 2025. Ceci dans le cas où le Parlement n'adopterait pas la loi de finances pour l'année avant le 31 décembre et où il ne serait pas possible de promulguer une loi de finances avant cette date. Le projet de loi a été présenté au Conseil des ministres le 11 décembre et adopté par l'Assemblée nationale le lundi 16 décembre (481 voix pour, 0 contre). Le 18 décembre, le projet de loi a été adopté par le Sénat (345 voix pour, 0 contre). La loi spéciale a été promulguée par le président de la République le 20 décembre 2024. Cette loi ne remplace pas le budget et visait à gérer une situation temporaire jusqu'à l'adoption de la loi de finances en 2025. Son champ d'application étant strictement limité, elle autorisait la perception des impôts et des ressources publiques nécessaires au financement des dépenses publiques essentielles.

D'un point de vue économique, il est clair qu'une période d'incertitude prolongée pèserait sur la confiance des ménages et le climat des affaires. En effet, au deuxième trimestre 2025, le taux d'épargne des ménages a atteint son plus haut niveau depuis 2021, une tendance qui n'a été observée nulle part ailleurs dans la zone euro. Cela montre à quel point l'incertitude politique affecte la demande intérieure.

Conséquences en matière d’investissements

Obligations : une crise politique, mais pas financière

La démission de M. Lecornu ouvre une nouvelle phase de crise politique. Une volatilité des spreads est à prévoir.

La démission du Premier ministre S. Lecornu a provoqué une certaine volatilité sur le marché obligataire, le spread OAT-Bund à 10 ans atteignant 86 points de base. La situation budgétaire française est perçue par les investisseurs comme un risque acceptable, mais persistant. Le rendement français à 10 ans est proche de 3,5 %, son plus haut niveau depuis 2011. Ces niveaux peuvent être considérés comme la nouvelle norme. Ils illustrent une fragilité politique qui se fait sentir rapidement, due à la difficulté de former un nouveau gouvernement, et une dérive budgétaire structurelle en raison de dépenses publiques élevées et d’une faible croissance économique.

La France continue à s'endetter sans difficulté

La demande pour la dette française reste élevée.

L'incertitude politique oblige la France à payer plus cher pour vendre sa dette auprès des investisseurs, mais elle continue de pouvoir s'endetter sans difficulté.

Qui achète la dette française ? Un quart de celle-ci est détenu par des investisseurs nationaux, un quart par la Banque de France, un quart par des résidents de la zone euro et un quart par des résidents hors zone euro.

Selon les dernières données de la Banque de France, au premier trimestre 2025, 54,7 % des titres de dette négociables de l'État français sont détenus à l'étranger par des « non-résidents », y compris dans les pays de la zone euro autres que la France. Cette proportion a augmenté au cours des quatre dernières années, la dette détenue par les investisseurs étrangers s'élevant à 48,5 % au début de l'année 2022.

Points positifs des obligations d'État françaises :

  • L'impact de la hausse des taux sur le poids de la dette de l'État se fera sentir progressivement.
  • La France, comme tous les pays de la zone euro, a bénéficié de taux d'intérêt très bas, voire négatifs, pour se financer tout au long de la période 2013-2021, ce qui lui a permis d'améliorer son profil financier : (1) une baisse du coût moyen de sa dette. Le coût moyen de la dette est d'environ 2 % après avoir atteint un minimum de 1 % en 2021. Avant 2010, le taux moyen se situait entre 3 % et 5 % ; et (2) un allongement de la durée moyenne de sa dette, qui est passée de 6 ans à 8,6 ans. En conséquence, le poids de la dette en pourcentage du PIB est d'environ 2,1 % en 2023, soit un niveau nettement inférieur à celui observé en 2010.
  • Il s'agit de l'un des marchés les plus liquides et les plus importants de la zone euro, ce qui en fait l'un des marchés préférés des investisseurs étrangers.
  • Forte capacité de la France à percevoir des impôts. Ménages solvables avec des bilans solides.
  • La BCE : un quart de la dette française est détenu par la Banque centrale européenne (BCE).

 

Le marché obligataire n'a pas réagi à la récente dégradation de la note de crédit, qui n'a eu qu'un impact limité sur la demande d'obligations de la part des banques et des compagnies d'assurance.

Marché des actions : retour d'une certaine volatilité

La réaction initiale intra journalière de l'indice CAC40 a été négative mais pas brutale, avec une correction légèrement plus marquée pour l'indice CAC Small. Les actions nationales, telles que les banques, font l'objet de prises de bénéfices. La réaction s'est limitée au marché français, les autres indices européens affichant peu de mouvement. À ce stade, cet événement est implicitement interprété comme national plutôt que systémique, politique et non financier.

Une certaine prudence s'impose à court terme, mais le marché français intègre déjà une prime de risque liée à l'incertitude politique ; depuis le début de l'année, il n'a pas réussi à dépasser ses plus hauts niveaux de 2024, contrairement à la plupart des autres indices européens, notamment l'Eurostoxx50, le Dax, l'Ibex et le FTSE/MIB. Avec un ratio cours/bénéfice prévisionnel sur 12 mois de 15, il se négocie en ligne avec sa médiane sur 12 ans, tout comme le MSCI Europe. De plus, environ 80 % de la capitalisation boursière de l'indice CAC 40 est orientée vers l'exportation, ce qui devrait limiter l'impact négatif.

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